Uchronie contemporaine, 2024
Quelles utopies pour la ville contemporaine?, Temps archi 11 - ICA-WB
Uchronie contemporaine, 2024
Quelles utopies pour la ville contemporaine?, Temps archi 11 - ICA-WB
« Qui connaît cette ville les connaît toutes, car toutes sont exactement semblables, autant que la nature du lieu le permet. » — Thomas More, L’Utopie, 1515.
L’utopie est un hors-lieu, un hors-temps, c’est-à-dire qu’elle nous sort de l’histoire. Elle circonscrit, occupe et organise un espace régulier et homogène sur le plan imaginaire. Elle est « la meilleure forme de gouvernement ». Le discours capitaliste associé aux moyens techniques de reproductibilité a rendu possible l’avènement de cette forme : la Ville Contemporaine. Ainsi formalisée, la ville prend force de loi devant l’histoire. Sur-moderne, elle ne se réfère plus qu’à elle-même. Aussi aimable et rassurante puisse-t-elle se présenter, par effort constant de synthèse, elle s’établit comme un espace de ségrégation. Toute contradiction sera toujours bannie, reléguée hors de ses limites. La matérialisation d’une utopie, que Michel Foucault nomme hétérotopie, engage notre regard à ce point où la limite produit un écart. L’utopie donne à s’y voir comme un lieu paradoxal, comme dénégation de ce qu’elle vise. Ce regard est celui de l’opérateur photographique qui découpe la ville contemporaine en cadres choisis, révélant ses contradictions internes. C’est le regard des corps utopiques, au sens de Foucault, qui explorent, tracent et cherchent à traverser l’omnipaysage urbain. Notre proposition consiste à établir un dispositif visuel de mise en crise du paysage de l’Utopie Contemporaine. Projetées, cadencées, mises en boucle, les images reprises à la ville produisent un espace en trompe-l’œil. Fausses continuités et passages dérobés ouvrent l’espace à une possible altération de l’imaginaire. Par ce montage, les images retrouvent leur statut d’illusions, le discours urbain s’effrite. La Ville Contemporaine, comme un perpétuel chantier, y prend la valeur d’une ruine à l’envers. Cette instabilité structurelle et idéologique est l’expression même de son identité : la ville se rêve en projet inachevé, en promesse toujours renouvelée. Elle se donne à voir comme un espace en tension, suspendu à la possibilité d’une chute qui n’a pas encore eu lieu. Assignés à cette place ambiguë, spectateurs, nous nous trouvons inquiétés par l’image à interpréter : ce que nous regardons nous regarde.